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La marche des Empereurs
 

 
 


Les numéros 1061 de « Science et vie » et 1744 du « Point » de février exploitent tous deux à leur « Une » le photomontage de Ralph.A.Clevenger distribué par Corbis. Face cachée d’un iceberg géant vu par la coupe bleutée d’une mer arctique.

Coïncidence fâcheuse, erreur manifeste ou choix désinvolte ? La chronologie des sorties en kiosque donne un indice sur l’indélicate rédaction qui a tiré la dernière et « plagié » son concurrent. Mauvais « Point » pour le canard de F.O.G.
Comme un acte manqué, la redondance vient frapper les gens d’image, rappelant le climat hivernal qui souffle sur la photographie de presse. Une bise qui sonne le glas de l’âge de papier du photojournalisme et de l’image de presse, une bise qui annonce la fin des dernières icônes de la profession. Crise du signifiant, de l’identité, du rapport à soi et aux autres, on ose plus montrer ni regarder sans l’aval moraliste des nouveaux censeurs. L’image fait peur, son pouvoir de vérité et d’information se raréfie, le témoignage se dilue dans l’offre pléthorique de contenus. La photographie se conforme chaque jour d’avantage aux choix politiques de notre société et se fait désormais l’écho des papes du petit écran, vendeurs compulsifs de « temps de cerveau disponible ». Tendance irréversible, la confiscation de l’image par le droit et l’économie a poussé les magazines vers une asepsie éditoriale et une recherche de rentabilité immédiate.
Ballotté au gré des vents, le glaçon étale tout son ventre sur les pages de papier glacé. L’iceberg devient symbole, synonyme de réchauffement climatique, ou de puissance occulte.
Il incarne le nouvel ordre du marché de l’image en France et dans le monde. Un marché clivé en deux univers distincts, où survivent les grossistes de contenus, où disparaissent les « artisans » de l’information. Où le parasite s’enrichit sur le dos du journaliste.
L’enjeu est là. Le choix de l’icône de glace comme « Une » passe-partout révèle le malaise d’un marché qui tourne le dos à la production originale. Les machines de guerre Corbis, Getty ou HFM en regroupant des stocks de plusieurs millions d’images - librement disponible à la consultation sur Internet - jouent la montre en asphyxiant progressivement les microstructures indépendantes. Pour le mot « Iceberg » Corbis fournit 2765 images et Getty sort 1178 photographies, toutes de grande qualité, couleur ou noir et blanc, archives, éditoriales ou illustratives. Toutes ces images sont recoupées par des mots-clefs évocateurs : danger, menacer, équilibre, éternité, force ou grand et petit. Que vous soyez à Paris ou à Jakarta, les robots de Seattle ou de New York recherchent dans leur base informatique les images produites par des dizaines de photographes du monde entier. Un nœud mondial où convergent de plus en plus de requêtes professionnelles ou privées. Globalisation oblige, la « marchandise » cherche à plaire, à rassembler le plus de suffrages possibles. Les images non consultées, peu rentables sont éjectées du catalogue. La mise en concurrence et l’offre gigantesque induisent une fonte des prix de vente et des revenus de ces « auteurs » photographes, victimes d’un déni de statut.
Sur cette « banquise » photographique, peu de place pour l’image originale. Peu de place, hors Festivals ou galeries, pour la production non-soutenue. Combien de photographes disparus faute d’avoir pu financer travaux et reportages. Le cortège s’allonge indéfiniment.
Autre mal, autre origine, le parasite du photojournalisme qui grignote parts de marchés et emplacements dans de nouvelles publications ultra-rentables. Le « People » se vend bien, très bien, et participe à la paupérisation éthique et financière du photojournalisme.
Ces deux causes majeures associées à d’autres épiphénomènes concentrationnaires comme les Maxppp ou PixPalace condamnent définitivement et durablement ceux d’entre nous qui produisons indépendamment des structures de diffusion globale.



Reste que le choix iconographique demeure la responsabilité des rédactions. Magazines et journaux, tenus par le même impératif de rentabilité, lancés dans une course effrénée de reconquête d’un lectorat perdu, économisent dans tous les secteurs de leur activité. L’image publiée devient un luxe, la place accordée à l’information photographique s’amenuise, laissant l’espace aux pubs ou aux petites annonces, plus rentables. Les abonnements aux fils d’images des agences télégraphiques fournissent l’essentiel des photographies. La diversité iconographique se tarit, les histoires ne sont plus publiées, c’est le règne du « single shoot » moins cher, plus polyvalent. Et c’est la polyvalence d’une image que l’on recherche. Cette « bonne photo » que l’on pourra mettre dans tous les sens, utiliser pour plusieurs dossiers, faire rentrer dans tous les blocs. L’image passe partout qui parlera « cash » aux lecteurs, aux passants, aux professionnels blasés de la profession, aux actionnaires. La véritable bonne image, ne fait plus recette, trop compliquée, contextualisée, unique… trop unique. La presse malade développe tous les symptômes de son mal, défaut d’engagement, perte d’identité, perte de mémoire. Les conseils d’administrations demandent des comptes aux patrons de presse, chaque numéro doit concilier baisse des coûts de production et augmentation des tirages. Les géants de l’image ont réussi leur pari, créer un marché global de la photographie, générant profit sans coût de production, rabaissant le cliché au statut de la boite de conserve, rangée, empilée, stockée. Les journaux consomment, les photographes font volume. C’est un nouveau vocabulaire auquel il nous faut nous habituer.
Notre glaçon flotte toujours en première page, les pingouins photographes se frottent toujours les uns contre les autres, se chicanant les restes d’un métier à l’agonie. Le marché de l’information dérive lentement vers celui de la communication, et les Empereurs de l’image continuent leur marche inexorable.

Garywald



DROIT DE REPONSE


Bonjour,

 

La joliesse de l’écriture de l’article signé Garywald « la marche des empereurs » ne masque pas tout à fait la superficialité de l’analyse de l’état du marché de la photo professionnelle :

PixPalace qualifié « d’épiphénomène concentrationnaire » bigre ! Outre l’enflure des mots il s’agit surtout d’un contresens : vos collègues de PDN online on titré eux de façon un peu plus pertinente leur article sur PixPalace (que je vous joins) : « une alternative à C+G » c'est-à-dire à Corbis et Getty.

PixPalace permet justement à des photographes, des agences, petites, moyennes, même concurrentes de rivaliser (un peu) avec les « empereurs » dont vous parlez. PixPalace a été conçu pour maintenir et contribuer à la diversité des sensibilités, angles de vue etc… et de permettre à tous ces « artisans » d’atteindre cependant un marché et de vivre de leur travail.

Si PixPalace est un «épiphénomène concentrationnaire » les NMPP le sont également … or en mutualisant des moyens elles ont permis une diversité de diffusion de la presse française…

Et le JDL n’utilise pas t-il pas cet autre «  épiphénomène concentrationnaire » produit par EDF : l’électricité ?

Il est vrai que lorsqu’en tant que « journaliste » on considère comme « parasite » (suivant le terme de votre article) toutes les autres activités telle que la notre (un coursier de la photo numérique)…

Ce discours de « déclinologue » où tout soit disant était mieux dans le passé, qui flingue toutes les initiatives, le dynamisme, la nouveauté, les alternatives contribue il me semble au nivellement et à l’appauvrissement qu’il prétend dénoncer.

Salutations.    

 

Jean Favreau

http://www.pixpalace.com 

 

 
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